Bloch fait aussi osciller les phonons !

L’oscillation de Bloch est une propriété bien connue des électrons dans un cristal soumis à un champ électrique uniforme. Les équipes de l’INSP* et du Centro Atomico Bariloche associées dans le LIFAN**, ainsi que le LPN***, ont récemment démontré (1) par la technique de l’acoustique picoseconde que des phonons acoustiques de longueurs d’onde proches de 10 nanomètres pouvaient également manifester de telles oscillations avec des périodes d’une fraction de nanoseconde. En tirant parti des propriétés de cohérence de cette technique, ils ont obtenu une caractérisation originale de l’oscillation de Bloch dans le domaine acoustique.

En 1929, Félix Bloch prédisait qu’un électron dans un potentiel périodique, tel qu’il en existe dans les réseaux cristallins, présente, quand il est soumis à un champ électrique uniforme, un mouvement oscillant dont la fréquence est proportionnelle au produit du champ électrique et de la période du potentiel. Ce phénomène n’a jamais pu être observé dans les cristaux naturels car, pour tous les champs électriques réalisables, la fréquence d’oscillation de l’électron y reste inférieure à sa fréquence de collision. En 1970, Léo Esaki proposa de réaliser des cristaux artificiels dont la période spatiale, beaucoup plus grande de par leur fabrication, permettait de rendre cette fréquence supérieure à celles des collisions (2). C’était la naissance des super-réseaux qui allaient révolutionner durablement la physique des semi-conducteurs et permettre enfin l’oscillation électronique de Bloch (3,4). Les chercheurs de l’INSP et du CAB Bariloche ont généralisé le concept d’oscillation de Bloch électronique au domaine des phonons en réalisant des superréseaux acoustiques qui sont l’équivalent pour les phonons des superréseaux électroniques.

Le domaine acoustique présente un champ original de paramètres pour l’exploration de l’oscillation de Bloch : le temps de vie des phonons acoustiques peut facilement dépasser la nanoseconde, ce qui autorise la fabrication d’oscillateurs avec des périodes d’une centaine de picosecondes (fréquences de 10 GHz) alors que les oscillateurs électroniques fonctionnent à quelques THz. Les longueurs d’onde de l’ordre de 10nm des paquets d’ondes acoustiques sont compatibles avec l’utilisation d’un échantillon d’épaisseur inférieure au micromètre.

Cependant le champ électrique à la base de l’oscillation de Bloch électronique n’a pas d’action équivalente sur les phonons. Les chercheurs ont donc utilisé un stratagème issu de la photonique en intégrant le potentiel linéaire dû au champ électrique dans la structure périodique elle-même. L’oscillation décrite par Bloch en 1929 est en effet l’image semi-classique de la quantification des bandes d’énergie d’une particule dans un potentiel périodique quand elle est soumise de plus à un potentiel linéaire.

Pour reproduire cette situation, les chercheurs ont conçu un super-réseau acoustique de 15 périodes et d’une épaisseur totale de 0,881 µm qui a été épitaxié au LPN. Chaque période est constituée d’une « cavité acoustique » en GaAs entourée de miroirs constitués de paires des semi-conducteurs GaAs et AlAs. Les épaisseurs ont été choisies pour assurer une variation linéaire des énergies des cavités prises individuellement et les réflectivités pour assurer un couplage significatif entre celles-ci.

L’ « acoustique picoseconde » a été utilisée pour étudier le comportement dynamique de cette structure. Dans cette technique pompe-sonde, une première impulsion femtoseconde génère des oscillations acoustiques qui se propagent dans la structure. Une seconde impulsion permet de mesurer la variation relative de la réflectivité de l’échantillon en fonction du délai séparant les deux impulsions. Une telle courbe de réflectivité est montrée dans la figure 1a.

La mesure de cette variation temporelle permet de déterminer par transformée de Fourier l’amplitude et la phase du spectre en fréquence des oscillations acoustiques qui modulent la réflectivité. Nous démontrons dans la figure 2 que le spectre expérimental en amplitude est bien constitué d’un ensemble discret de composantes équidistantes.

L’accès à l’amplitude et à la phase du spectre permet également de filtrer en fréquence la trace temporelle. Le résultat d’un filtrage isolant trois composantes de ce spectre, signalées dans la figure 2, est présenté dans la figure 1b. On y voit clairement l’oscillation de Bloch avec une période de l’ordre de 95 ps, en bon accord avec la valeur attendue par construction. Dans la simulation de la figure 1c, le paquet d’onde acoustique filtré dans la même gamme de fréquence présente effectivement un déplacement oscillant en fonction du temps et de l’espace entre les cavités où sont centrés les modes sélectionnés par le filtrage. Seules de faibles proportions de l’amplitude acoustique s’échappent aux extrémités de la structure, qui ne comporte qu’un nombre fini de cavités, ce qui peut conduire à la réalisation de nouvelles sources d’impulsions acoustiques de paramètres contrôlables.

Figure 1 : a) variation temporelle brute de la réflectivité relative ΔR/R, mesurée en acoustique picoseconde, b) variation temporelle après filtrage fréquentiel avec le filtre décrit dans la figure 2, c) simulation du déplacement périodique d’un paquet d’ondes acoustiques aux mêmes fréquences en fonction du temps et de la position.

 

Figure 2 : Amplitude spectrale obtenue par transformée de Fourier de la variation de ΔR/R présentée dans la figure 1a. Le filtre en fréquence utilisé pour la figure 1b est schématisé par la bande en jaune.

 

* Acoustique, optique et thermique ultra-rapides dans les nano-systèmes et Nanostructures et systèmes quantiques
** Laboratoire international franco-argentin en nanosciences
*** Laboratoire de photonique et nanostructures

 

Pour en savoir plus

1. N.D. Lanzillotti-Kimura, A. Fainstein, B. Perrin, B. Jusserand, O. Mauguin, L. Largeau, and A. Lemaitre, Phys. Rev. Lett. 104, 197402 (2010)
2. R. Tsu, and L. Esaki, IBM J. Res. Develop. 14, 61 (1970)
4. A. Sibille, et al. Phys. Rev. Lett. 64, 52 (1990)
5. K. Leo, et al, Solid State Commun. 84, 943 (1992)